MINGUS (C.)

MINGUS (C.)
MINGUS (C.)

Contrebassiste, compositeur, arrangeur, chef d’orchestre, Charles dit Charlie Mingus est considéré comme le grand classique des années soixante. Il réussit en effet le tour de force d’être l’un des plus puissants novateurs de sa génération sans se couper pour autant d’une tradition qui remonte aux origines du jazz.

Les années de formation

Charles Mingus naît en 1922 à Nogales (Arizona) et passe son enfance à Watts, faubourg noir de Los Angeles, qui fut en 1965 le siège de graves émeutes raciales. Sa famille pratique la musique en amateur; une sœur chante, l’autre joue du piano – Charlie formera avec elles un trio vocal –, un demi-frère est guitariste. Il participe à des cérémonies religieuses très typées qui marqueront à jamais l’homme et le musicien: «Toute une partie de ma musique vient de l’église. Quand j’étais gosse, la musique d’église était la seule que je pouvais entendre. C’est seulement quand j’ai eu huit ou neuf ans que j’ai pu entendre un disque de Duke Ellington à la radio [...]. Ma belle-mère m’emmenait à Holyness Church. Mon père, lui, n’aimait pas ça. Dans ces églises les gens entraient en transes, l’atmosphère était plus sauvage, moins inhibée que dans les églises méthodistes. Il y avait des instruments, on jouait le blues. Il y avait aussi ces dialogues faits de lamentations et de répétitions qui unissent les fidèles au prédicateur.»

Il étudie d’abord le trombone avec Britt Woodman, puis la contrebasse, instrument dont il devait achever l’émancipation, avec Red Callender. Il s’exerce tôt à la composition. Son premier engagement professionnel, avec Buddy Collette, date de 1940, époque à laquelle il travaille avec Lee Young. Il joue ensuite avec Louis Armstrong (1941-1943), Kid Ory et Alvino Rey (1944-1945), Lionel Hampton (1946-1948), Red Norvo et son trio (1950-1951) et avec Billy Taylor (1952-1953). Charlie Mingus atteint la pleine maturité de ses moyens et de son inspiration en 1954.

Cette forte personnalité, aux préoccupations intellectuelles, est devenue un soliste remarquablement doué. Doté d’une sonorité puissante, d’une dextérité peu commune et d’une imagination toujours en éveil, il est le partenaire que s’arrachent les plus grands. On le retrouve avec Charlie Parker, Stan Getz, Bud Powell, Duke Ellington ou Art Tatum pour de mémorables séances dont l’une des plus illustres fut celle qui réunit à Massey Hall en 1953, outre Charlie Mingus, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Bud Powell et Max Roach. Il participe à la composition de la musique de divers films (Road to Zanzibar , de Victor Schertzinger, 1941; Higher and Higher , de Tim Whelan, 1943) et il écrit complètement celle du film de John Cassavetes, Shadows (1961).

Un créateur engagé

L’histoire du jazz se serait certainement souvenue du soliste – à la contrebasse mais aussi au piano –, et pourtant, c’est le compositeur-arrangeur, c’est le créateur de musiques nouvelles qui laisse la trace la plus profonde. Dans ces années cinquante, le jazz, qui vient de connaître la vigueur du bop et les douceurs feutrées du cool, cherche encore sa voie. Les premières œuvres expérimentales de Charlie Mingus, en collaboration avec le saxophoniste-compositeur Ted Maceo, lui proposent les audaces d’une aventureuse avant-garde. Au sein d’un orchestre – Charlie Mingus and his Modernists – où se rejoignent Thad Jones, Mal Waldron et Kenny Clarke, un nouveau style s’élabore qui préfigure à bien des égards les prochaines explosions du free jazz. On y redécouvre la valeur de l’improvisation collective, bien oubliée depuis quelques décennies. Charlie Mingus n’est d’ailleurs pas un arrangeur traditionnel. Il invente une mélodie qu’il ne fait que proposer à ses solistes, prolongeant ainsi la tradition de l’arrangement oral. Le monde de Mingus est celui du sarcasme, de l’humour grinçant qui désarticule les standards les plus éculés (Tea for Two ), de l’agressivité vengeresse qui n’hésite pas à mêler le goût du primitif et la grossièreté, monde dont nous retrouvons le reflet dans ses mémoires Beneath the Underdog (1971), traduites en français sous le titre un peu adouci de Moins qu’un chien . Si le jazz a toujours été l’expression d’un certain désespoir, d’une certaine revendication sociale, la musique de Charlie Mingus est la première à s’avouer aussi ouvertement engagée: «Les choses ont bien changé depuis la naissance de cette musique de prostituée appelée jazz. Ma musique parle au peuple noir et essaie de prendre sa défense contre le fric, les esclavagistes, les exploiteurs capitalistes.» Témoin ce Fables of Faubus , musique en forme de pamphlet contre le sénateur Faubus qui s’opposait au programme de déségrégation raciale pour les écoles de Little Rock (Alabama): un thème et des rythmes primitifs servent de toile de fond aux saillies des musiciens et à des bruits que l’on qualifie pudiquement de «divers». La violence règne en maîtresse dans l’orchestre qu’il dirige depuis 1957 et où se succèdent entre autres Eric Dolphy (flûte et alto), Booker Ervin (ténor), Jaki Byard (piano) et Dannie Richmond (batterie). Alternance de chaos collectifs et de répétitions lancinantes, opposition de rythmes complexes, goût immodéré des harmonies ouvertes et dissonantes, tension et amertume, tels sont les traits qui dépeignent le mieux le cœur de sa musique.

Mais si Charlie Mingus est le premier musicien à exprimer aussi crûment le problème racial sans le fatalisme plaintif du blues, il faut reconnaître que sa révolte se traduit dans une musique qui sait être également chaleureuse et conserver des liens étroits avec la tradition. Parmi les écoles du jazz, Charlie Mingus n’en rejette aucune: il les a d’ailleurs presque toutes pratiquées. Les chants d’église et le blues sont constamment présents dans son œuvre. Il en est de même pour la vigueur de ce balancement que ne renieraient pas les tenants les plus fervents de l’ère du swing. Charlie Mingus n’a jamais caché la profonde admiration qu’il portait à Duke Ellington. Le sauvage jazz de chambre du grand contrebassiste est en quelque sorte le fils illégitime du Duke par la vivacité de ses couleurs sonores, la verdeur des rythmes, la diversité mélodique. Cet écorché vif est aussi un tendre; la femme est son thème favori et il sait lui réserver de bouleversantes ballades d’une délicatesse inattendue; la nostalgie fait partie de son univers.

En réalité, on éprouve quelque difficulté à «classer» Charlie Mingus. Pionnier au milieu des classiques ou traditionnel parmi les modernes, il est surtout l’auteur d’une musique indissolublement liée à sa personnalité. Quand, après une absence de plusieurs années de la scène musicale, il réapparaît sur les décombres du free jazz, sa musique est restée étonnamment jeune, elle n’a pas pris une ride. Peut-être parce qu’elle avait un parfum d’éternité.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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